Des protocoles standards, même sur mon vélo
Depuis les balbutiements de l’informatique moderne, on tente de faire communiquer des trucs avec des machins électroniques ou électriques. Des premières interconnexions très sommaires, les choses ont évolué petit à petit. Un clavier et une souris, une imprimante, un scanner. Qui ne s’est jamais désespéré de ne pas avoir le bon câble, le bon « driver » ou pilote, ou de recevoir un message indiquant peu ou prou: votre appareil est incompatible? Las de toutes ces errances qui ne faisaient que mettre des bâtons dans les roues de l’innovation, servant la rivalité entre entreprises concurrentes et causant le désespoir des clients de ces mêmes entreprises, l’industrie de la tech a commencé à adopter des « standards ».
Contenu de l’article
Soutenir le site
Vous appréciez les contenus de nakan.ch? Vous souhaitez soutenir le site, tout en vous équipant avec les dernières nouveautés en matière de technologie sportive? En utilisant le lien sur l'un des logos ci-dessous, vous soutenez la réalisation de futurs tests de matériel sur le site! Et cela ne vous coûte rien de plus!
L’introduction de « standards »
En se mettant d’accord, les principaux fabricants ont développé des langages, des interfaces, des câbles et des connectiques communs à tout un segment de marché. Un exemple pour le grand public est le port USB. Cela fait 26 ans que le petit connecteur carré débarquait, et permettait pour le première fois de connecter aussi bien un clavier, une imprimante ou même un IRM médical. Depuis, les « standards » sont devenus légion, adoptés par des consortiums ou imposés « de facto » par des entreprises ayant la mainmise sur un segment de marché. Mais ne nous leurrons pas, les ennuis de non compatibilité, les mesquineries sombres ou les embûches volontaires sont toujours légion.
Le problème de la multiplication
Autre problème récurrent, les « standards » qui se font concurrence. Il est un exemple flagrant dans le monde des gadgets connectés pour le sport: le Bluetooth et ANT+. Les deux systèmes de connexion de capteurs et accessoires sont aujourd’hui deux standards qui ont été chacun adoptés par une partie de l’industrie. Pour être compatible avec l’ensemble du marché, un capteur doit aujourd’hui adopter les deux systèmes.
Des messages propriétaires dans des protocoles standards
Là ou cela devient complexe, c’est quant un protocole standard fait transiter des messages propriétaires. Et c’est le cas dans le monde des gadgets connectés pour le sport. Encore une fois, illustrons cela par un exemple concret simple pour faire le parallèle. Considérons les systèmes ANT+ ou Bluetooth comme la Poste. Ces protocoles transportent des messages, dans des enveloppes de format standard. La plupart du temps, quand un capteur envoie une information comme la fréquence cardiaque, il met une information standardisée, par exemple « 128 bpm » dans une enveloppe standardisée, ANT+ ou Bluetooth. C’est simple, et à partir du moment où on dispose des spécifications du standard, tout le monde sait et peut l’utiliser sans limitations.
Les mauvais élèves, les canaux « privés »
Mais on utilise aussi des capteurs ou des accessoires qui utilisent une zone d’ombre des protocoles standards: les messages privés. Dans notre analogie, le capteur utilise une enveloppe standard, mais y glisse un message codé, que seuls les appareils qui disposent du code peuvent lire. Garmin est un grand consommateur des canaux privés. Les métriques avancées de course à pied des ceintures HRM-Run ou HRM-Tri ont longtemps été codées ainsi, tout comme les métriques avancées des pédales Vector. Au début, les données du radar Varia également. Enfin, le tout dernier varia avec Dashcam en fait aussi usage pour gérer les propriétés de la caméra.
Ensuite, avec le temps, Garmin autorise d’autres à utiliser ces capteurs et accessoires, et rend la communication « standard » via le protocole ANT+. C’est aujourd’hui le cas pour les ceintures cardio avec les métriques avancées: Wahoo en propose une qui est compatible avec presque toutes les données ou les pédales Assioma qui proposent les métriques avancées de cyclisme. Quant au radar Varia, il peut être utilisé sur des systèmes ou apps tierces, aussi bien en ANT+ qu’en Bluetooth. Et comme ces communications sont standards au sein du protocole ANT+ ou Bluetooth, plus de risque d’incompatibilité futures sur ces fonctions.
L’exemple concret: Shimano et Hammerhead
Tout cela nous amène à parler d’un cas très concret survenu ces derniers jours. Shimano a retiré le droit à Hammerhead d’exploiter les fonctions liées à la connectivité ANT+ des groupes Shimano Di2 sur les compteurs Karoo et Karoo 2.
Au début de l’année 2022, Hammerhead a été rachetée par le groupe SRAM. Bien qu’évoluant comme entité complètement indépendante dans le groupe américain, Shimano identifie SRAM comme un concurrent direct, et en conséquent, Hammerhead également.
Depuis plusieurs année déjà, les compteurs Hammerhead permettent de se connecter aux systèmes Di2 de Shimano et d’y lire le niveau de charge de la batterie, la vitesse engagée, le nombre de changements de vitesses et plus encore. Mais cette compatibilité fait partie du passé pour les propriétaires de compteurs Hammerhead, qui la perdent aussitôt qu’ils passent à la mise à jour de mai 2022.
Shimano n’a jamais passé au standard de changements de vitesses
Lorsqu’une nouvelle technologie débarque, il est souvent plus rapide de passer par un canal privé sur ANT+ pour proposer tout de suite la fonctionnalité, puis de la documenter pour en faire ensuite un standard par la suite. Et comme Shimano a été la première à proposer un système de changements de vitesses, c’est ce qu’il s’est passé. En 2015, le consortium ANT+ a proposé un ensemble de standards pour mesurer la charge des batteries de changements de vitesses, la vitesse engagée, le mode de changement de vitesses et plus. Le tout est regroupé dans le profil « ANT+ Gear Shifting ». Il a depuis été adopté par l’ensemble des groupes de SRAM et de Campagnolo. Mais Shimano a conservé le système privé, et qui reste donc utilisable uniquement par les appareils qui disposent de la clé de décodage pour le faire.
Une mesure qui date d’un autre temps
Dans le monde de la tech, on condamne de plus en plus ce comportement que vient d’adopter Shimano par rapport à Hammerhead. En retirant à ce dernier le droit d’utiliser la clé d’accès, le fabricant des compteurs Karoo n’a pas eu d’autre choix que d’annoncer à ses utilisateurs la fin du support des systèmes Di2 de ses compteurs.
Si Shimano avait adopté le profil standard ANT+ Gear Shifting, cela n’aurait pas été possible. Et ces petites chamailleries ne profitent finalement à personne: les propriétaires de compteurs Hammerhead qui utilisent un système Di2 n’apprécieront pas la décision de Shimano, ceux qui n’en ont pas encore réfléchiront avant de choisir un compteur Karoo et toute autre personne qui utilise un système Di2 avec un autre compteur ou app se poseront la question de savoir si la susceptibilité de Shimano pourrait à l’avenir les empêcher d’utiliser ces fonctionnalités…
En tant qu’utilisateurs finaux, nous n’avons pas beaucoup de marge de manœuvre
Si il s’agit de capteurs de vitesse ou de cadence pour le vélo, il semble assez simple de choisir des modèles qui sont compatibles ANT+ et Bluetooth plutôt que des capteurs propriétaires. Mais si on parle d’un groupe complet sur un vélo, gageons que très peu nombreux sont les propriétaires de vélo prêt-es à en changer tous les composants pour passer à un système ouvert de chez SRAM ou Campagnolo.
Actuellement, les principaux appareils en dehors de Hammerhead qui exploitent l’intégration avec le Di2 sont les compteurs et montres Garmin ou les compteurs de Wahoo. Peu de risques à ce stade de voir ces dispositifs retirés de la liste des appareils supportés par Shimano, mais ce n’est pas impossible… Qui aurait pu croire que cela arriverait sur les compteurs de Hammerhead ?
En fin de compte, comme pour les connecteurs des smartphones, les chargeurs USB, les systèmes de pédales de vélo, les bornes de recharge pour les véhicules électriques, mieux vaut avoir rapidement des systèmes standards, cela profite à tout le monde!
Supporter ce site pour de futurs articles
Rédiger des tests et des articles sur la technologie dans le sport est une passion dévorante! Cela fait plus de 12 ans que je le fais en marge de mon activité professionnelle et sportive.Je ne compte pas mon temps, et je ne suis absolument pas rémunéré par les marques pour le faire.
En passant par l'un des liens ci-dessous pour réaliser votre prochaine commande en ligne, je touche une petite commission sur la transaction, vous soutiendrez le site, et cela ne vous côutera pas plus cher!
Vous pouvez également soutenir le site au travers de la plateforme "Buy Me a Coffee" ou d'autres moyens de soutenir le site sur cette page. Je vous en remercie beaucoup!
Pour tout savoir sur ma politique de publication et de publicité sur le site, rendez-vous ici!